- RANK (O.)
- RANK (O.)RANK OTTO (1884-1939)Né à Vienne dans une famille modeste marquée par la mésentente et l’alcoolisme, le jeune Rosenfeld prend à dix-sept ans le nom de Rank pour renier ce milieu. Destiné à un travail manuel, il est obligé de prendre, pour des raisons de santé, un emploi de bureau, mais ambitionne de faire une carrière littéraire. Lorsque Freud le rencontre, il travaille dans un atelier de mécanique générale et prépare un livre sur la création artistique qui s’inspire de la psychanalyse et que le maître viennois fait publier en 1907 (Der Künstler ). Séduit par ses qualités intellectuelles, Freud accorde à Rank une place toute particulière dans le mouvement psychanalytique. Secrétaire de la Société psychanalytique de Vienne de 1910 à 1915, Rank est chargé d’établir le compte rendu détaillé ou «Minutes» des soirées du mercredi chez Freud, lequel paie ses études universitaires (jusqu’au doctorat de philosophie en 1912) et publie sa thèse sur la légende de Lohengrin (Die Lohengrin Sage , 1911), ainsi que so la légende (Das Inzest-Motiv in Dichtung und Sage , 1912).Par son activité créatrice et sa connaissance exceptionnelle de la mythologie, Otto Rank apparaît comme le plus apte à poursuivre l’œuvre de Freud. Alors que les autres disciples travaillent sur les applications cliniques de la psychanalyse, il fait porter ses recherches sur les rêves et leur interprétation à la lumière des légendes et des mythes, sur le symbolisme, le narcissisme, les relations entre folklore et sexualité infantile, l’analyse de l’inceste et de la nudité dans les légendes et la poésie. Son ouvrage intitulé Le Mythe de la naissance du héros (Der Mythus der Geburt des Heldens , 1909) analyse les récits qui rapportent les origines des héros (Sargon, Moïse, Carna, Œdipe, Pâris, Télèphe, Persée, Gilgamesh, Cyrus, Tristan, Romulus, Hercule, Jésus, Siegfried et Lohengrin). En confrontant les données avec les fantasmes prégénitaux de l’enfant, il en vient à concevoir le mythe comme l’expression par les adultes des fantasmes régressifs. Il montre comment ces légendes évoquent le conflit avec le père à travers la révolte qui transforme le héros en réformateur. Il y décèle les mécanismes de projection qui font du père un persécuteur et justifient ainsi la révolte du héros. Enfin, il compare la structure paranoïde des mythes aux mécanismes psychotiques, à la manière dont Freud rapprochait la religion de la névrose obsessionnelle.Lié d’amitié avec Hanns Sachs, lui aussi introduit dans l’intimité de la vie familiale de Freud, Otto Rank travaille très étroitement avec celui-ci, qui, par exemple, rédige, pour Le Mythe de la naissance du héros , le chapitre sur le «roman familial» dans les névroses, tandis que Rank participe à la quatrième édition de L’Interprétation des rêves et se trouve fréquemment cité dans la réédition de la Psychopathologie de la vie quotidienne . Avec Sachs, il écrit un texte sur l’importance de la psychanalyse pour les sciences humaines et fonde, en 1912, la revue Imago , qui s’ouvre à la psychanalyse appliquée. Avec Ernest Jones et Sandor Ferenczi, il crée, en 1913, l’Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse et, en 1919, l’Internationale Psychoanalystischer Verlag, la première maison d’édition d’ouvrages de psychanalyse.Mobilisé en Pologne de 1916 à 1919 et coupé de la vie viennoise, il ne sera plus, si l’on en croit Ernest Jones, tout à fait le même homme lorsqu’il retrouvera celle-ci. En 1920, il s’installe comme analyste, avec des difficultés qui tiennent au fait qu’il n’est pas médecin, et il assiste au congrès de La Haye où s’affirme le caractère international du mouvement analytique et où se réorganise le «Comité» qui comprend Abraham, Ferenczi, Jones, Sachs, Rank, Eitington, Freud et dont il devient lui-même le secrétaire. Une profonde incompatibilité d’humeur éclate alors entre le méticuleux Ernest Jones et l’entreprenant Otto Rank. Celui-ci, en revanche, se trouve en grande affinité avec Ferenczi: ils publient ensemble le Développement de la psychanalyse (Entwicklungsziele der Psychoanalyse , 1923), premier essai de synthèse sur les problèmes de la technique, dans lequel Jones et Abraham voient des éléments hétérodoxes, notamment une sous-estimation des «sources historiques dans l’enfance» à propos de l’étude des tendances. Ce livre, d’ailleurs, ne tient pas compte de toutes les phases du traitement; il méconnaît certains textes de Freud sur la dynamique du transfert et sur les relations entre remémoration et répétition; il annonce aussi les orientations futures des recherches techniques de Rank. Les remous qu’il suscite obligent Freud à intervenir à titre de conciliateur.Ferenczi et Rank publient ensuite, l’un Thalassa. Esquisse d’une théorie de la génitalité , l’autre son ouvrage le plus célèbre, Le Traumatisme de la naissance (Das Trauma der Geburt , 1924), qui traite de «l’influence de la vie prénatale sur l’évolution de la vie psychique individuelle et collective». Tandis que Freud voit dans les modalités physiques et physiologiques de la naissance une cause d’angoisse mais en maintenant que la source des névroses est d’ordre sexuel, Rank souligne l’importance de la séparation d’avec le corps de la mère et de la perte de la situation de plaisir caractéristique de la vie intra-utérine, ce trauma de la naissance constituant, à ses yeux, la source des névroses; toute angoisse névrotique répète les phénomènes physiologiques de la naissance. Celle-ci déclenche l’angoisse primale, qui abolit toute mémoire de l’état de plaisir antérieur et suscite chez le nouveau-né la double peur de la vie et de la mort. Les névrosés sont ceux qui, au terme de leur adolescence, n’arrivent pas à surmonter ce trauma. Bien que dédié au maître, ce livre marque le début de la rupture de Rank avec la psychanalyse freudienne. C’est à partir du concept de trauma de la naissance que celui-ci explique l’apparition de l’individualité et de la volonté autonome. Freud souligne l’importance du livre de Rank, mais en faisant remarquer qu’il passe sous silence l’Œdipe. Abraham traite ce travail de «régression scientifique». Jones lui reproche «sa composition défectueuse, son style hyperbolique, la gratuité de spéculations présentées comme un dogme». Sachs accuse Rank de ne pas s’appuyer sur un matériel clinique qui eût été absolument nécessaire à la démonstration du fait que le traumatisme de la naissance est plus fondamental, plus universel, plus refoulé et plus inconscient que le complexe d’Œdipe. Freud, effrayé par la violence des critiques et par les réactions de Rank, prend en fait la défense de ce dernier, mais tente surtout d’analyser sa relation transférentielle vis-à-vis de lui-même.Rank part alors pour Paris et pour les États-Unis, donnant des conférences où il insiste sur les transformations qu’il a apportées à la théorie freudienne. À son retour, par contre, il admet le reproche que lui adressait Freud «de projeter dans la science comme une théorie ce qui se meut en nous-mêmes». Mais, à la suite d’un deuxième voyage en Amérique, en avril 1926, c’est la rupture définitive, rupture qui, sur l’arrière-fond de la maladie de Freud, marque l’évolution critique d’une situation transférentielle et constitue une sorte de deuil anticipé.Rank émigre définitivement en 1934 à New York, où il adapte la psychanalyse aux besoins d’une société industrielle et utilise une technique de traitement raccourci, «laissant au patient le rôle créateur dans le processus thérapeutique». Alors que Le Traumatisme de la naissance évoquait une sorte de processus fatal antérieur à toute histoire de la libido dans le sujet, les travaux ultérieurs de Rank rejoignent ceux de la psychothérapie active: «Freud, écrit-il, estime que l’individu est dominé par la vie instinctuelle (le ça) et qu’il est soumis par le surmoi à un processus de refoulement; ce serait un être sans volonté soumis aux caprices de deux forces impersonnelles. Au contraire, je vois dans la volonté une organisation directrice et positive et une intégration du moi, qui, tout en refoulant et en contrôlant les pulsions instinctuelles, les utilise d’une façon créatrice.» La thérapie rankienne est centrée sur la volonté comme sur une force positive qui doit être libérée pour développer l’auto-affirmation de l’individu.Rank est exclu en 1930 de la traditionaliste Société psychanalytique américaine, ce qui rend sa situation très difficile dans un pays où tous les analystes sont médecins et membres d’une société psychanalytique. Parmi ses nombreux ouvrages de l’époque, certains témoignent du combat qu’il poursuivra avec l’orthodoxie: Technique psychanalytique (Technik der Psychoanalyse , 1926), La Situation analytique (Die analytische Reaktion , 1929), L’Analyse des analystes (Die Analyse des Analytikers , 1931), Psychologie génétique (Genetische Psychologie , 1927) et Au-delà du freudisme, la volonté du bonheur (Wahrheit und Wirklichkeit , 1929). Il donne le nom de «psychologie génétique» à sa recherche postérieure à 1927, sur la «créativité et le développement de la personnalité», «la volonté du bonheur», etc. En 1932, il publie Don Juan, une étude sur le double , recueil d’essais sur les œuvres et légendes évoquant le dédoublement des personnalités, et L’Art et l’artiste: créativité et développement de la personnalité (Art and the Artist: Creative Urge and Personality Development ), reprise de son travail de jeunesse: l’homme moyen, le névrosé et l’artiste sont des types qui se définissent par leurs capacités à intégrer le traumatisme de la naissance et par leurs aptitudes à la créativité, laquelle résulte d’un besoin de création et non d’une pulsion sexuelle comme le pensait Freud. Les théories les plus récentes de Rank ont contribué à la fondation de la Philadelphia School, qui adopte une approche «fonctionnelle» plutôt que «diagnostique», et au développement de la thérapie «non directive».
Encyclopédie Universelle. 2012.